[Les esprits forts accouraient à lui de toutes parts.]
J’en ai nommé un ci-dessus[1] ; je laisse les autres, et je me contenterai de dire que M. le prince de Condé[2] qui était presque aussi savant que courageux, et qui ne haïssait pas la conversation des esprits forts, souhaita de voir Spinoza, et lui procura les passe-ports nécessaires pour le voyage d’Utrecht. Il y commandait alors les troupes de France. J’ai ouï dire qu’il fut obligé d’aller visiter un poste le jour que Spinoza devait arriver, et que le terme du passe-port expira avant que ce prince fût retourné à Utrecht : de sorte qu’il ne vit point le philosophe auteur du Tractatus Theologico-Politicus ; mais il avait donné ordre qu’en son absence on fît un très-bon accueil à Spinoza, et qu’on ne le laissât point partir sans un présent. L’auteur de la Réponse à la religion des Hollandais parle de ceci en cette manière : « Avant que de quitter ce chapitre, il faut que je reconnaisse l’étonnement que j’ai de voir que Stoupp ait tant voulu déclamer contre ce Spinoza, et qu’il dise qu’il y en a beaucoup en ce pays-ici qui le visitent, vu qu’il avait fait et cultivé une si étroite amitié avec lui pendant qu’il était à Utrecht. Car l’on m’a assuré que le prince de Condé, à sa sollicitation, l’a fait venir de la Haye à Utrecht, tout exprès pour conférer avec lui, et que Stoupp l’a fort loué, et a vécu fort familièrement avec lui[3]. »
M’étant informé plus exactement de cette affaire, j’ai appris que le prince de Condé fut de retour à Utrecht avant que Spinoza en partît, et qu’il est très-vrai qu’il conféra avec cet auteur[4].
Notes et références
- ↑ Voyez l’article HÉNAULT, tom. VIII, pag. 1.
- ↑ Dans la première édition du Dictionnaire de Bayle, cette remarque était la 6e, et marquée F ; elle était conçue ainsi :
« Je ne nommerai qu’un poète français, qui est fort loué dans le Furetiériana. Voici ce qu’un habile homme m’en a écrit : « M. d’Hénault, auteur du Sonnet sur mademoiselle de Guenchi et maître de madame Deshoulières, a eu assez de réputation à Paris de son vivant, et elle subsiste encore, quoiqu’il soit mort il y a quatorze ans. Il est vrai que son mérite n’étant pas imprimé, pour parler comme M. Ménage, sa réputation n’a pu s’étendre comme celle de bien d’autres, qui, à Paris, n’ont jamais joui d’une réputation aussi grande que la sienne. C’était un homme d’esprit et d’érudition, aimant le plaisir avec raffinement, et débauché avec art et délicatesse ; mais il avait le plus grand travers dont un homme fût capable ; il se piquait d’athéisme et faisait parade de son sentiment avec une fureur et une affectation abominable. Il avait composé trois différents systèmes de la mortalité de l’âme, et avait fait le voyage de Hollande exprès pour voir Spinoza, qui cependant ne fit pas grand cas de son érudition. À la mort les choses changèrent bien ; il se convertit, et voulait porter les choses à l’excès : son confesseur fut obligé de l’empêcher de recevoir le viatique au milieu de sa chambre, la corde au cou. D’Hénault n’était point de naissance ; son père était boulanger, et lui avait été d’abord receveur des tailles en Forez, où il n’avait pas bien fait ses affaires. Il a montré à madame Deshoulières tout ce qu’il savait et croyait savoir : on prétend qu'il y paraît dans les ouvrages de cette dame. J'ai vu, entre autres remarques, ces vers de l'idylle du Ruisseau :
- Courez, ruisseau, courez, fuyez et reportez
- Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez ;
- Tandis que pour remplir la dure destinée
- Où nous sommes assujettis,
- Nous irons reporter la vie infortunée
- Dans le sein du néant dont nous sommes sortis.
- Courez, ruisseau, courez, fuyez et reportez
- ↑ Brun, Véritable Religion des Hollandais, pag. 164.
- ↑ Cet alinéa n’existait pas dans la première édition. n.d.e.