Baruch Spinoza

De Spinoza et Nous.
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Statue de Spinoza, réalisée en 2008 par Nicolas Dings, près du lieu où vécut le philosophe, à Amsterdam.

Dans l'Europe du XVIIème siècle, Spinoza fût d'abord le nom d'un scandale. D'abord connu et reconnu dans la République des Lettres pour sa compréhension de la philosophie de Descartes puis pour son activité de polisseur de lentilles optiques, il fût ensuite identifié comme l'auteur de l'infâme Traité théologico-politique, essai expliquant entre autres que les récits de miracles dans la Bible n'étaient pas à prendre au sens littéral mais seulement comme des allégories destinées à l'édification morale des populations ignorantes. Brisant l'entente tacite entre les autorités théologiques, politiques et scientifiques pour que les unes et les autres s'exercent sans juger ni discuter directement des idées essentielles des autres, Spinoza affirme l'indépendance de la raison par rapport à la foi et aux besoins du pouvoir politique, tout en expliquant que la sécurité de l'État comme la vigueur de la foi auraient tout à gagner à accepter une liberté absolue pour la raison de penser de façon critique la religion aussi bien que l’État.

Le scandale que représente le nom de Spinoza sera consommé avec la publication de son Éthique démontrée suivant l'ordre géométrique, après sa mort. Du point de vue de la raison, ce qu'on peut appeler "Dieu" est comme dans la religion l'être suprême, l'être qui dispose de la souveraine puissance d'exister et de faire exister toutes choses. Or que l'on soit croyant ou non, il doit exister un être suprême ou souverain, non pas un être parmi les autres, qui serait juste le plus puissant de tous, mais un être existant par soi-même qui ne dépende pas d'autre chose pour exister tout en rendant possible l'existence de tous les autres. Pour un athée au sens moderne, la nature conçue comme ensemble des réalités physiques est l'être suprême : il n'y a rien au dessus. Pour un croyant, Dieu, conçu comme personne douée de désirs et d'aversions, est le véritable être suprême. Spinoza dépasse leur opposition : Dieu et la nature sont une seule et même chose, Deus sive natura[1] : "la nature n'agit jamais pour une fin. Cet être éternel et infini que nous nommons Dieu ou nature agit comme il existe, avec une égale nécessité".

Mais Dieu n'est ici ni une personne, ni une simple collection indéfinie et purement formelle d'individus distincts. Dieu ne peut être une personne comme le décrivent les textes religieux car seul un être fini et limité peut avoir des buts à atteindre, autrement dit des désirs et des aversions et ainsi des limites. Mais une simple collection d'individus ne pourrait exister par soi-même, car un individu dépend toujours d'un autre, et a fortiori un groupe d'individu dépend de ces individus pour être constitué. En outre, cette collection ne pourrait avoir aucune unité ou cohérence. Or ce qui permet en toute rationalité de penser l'unité de tous les corps, c'est l'acte de s'étendre qui en est la substance même. De même, la pensée est la substance de toutes les idées - ces deux "substances" n'étant qu'une seule et même chose considérée sous deux angles différents.

Or cet acte de s'étendre et de penser, chacun peut en avoir l'intuition immédiate en considérant son corps ou son esprit. Et si un corps peut être limité par un autre, l'étendue qui les constitue tous ne peut être limitée, alors l'étendue est également connue par tous dans son infinité même. De même, si un esprit est une idée qui peut être limitée par une autre, la pensée qui les constitue tous ne peut être limitée et elle est alors connue par chacun dans son infinité même. Ainsi, contrairement à la privatisation de Dieu qu'opèrent traditionnellement les clergés de toutes les religions, Spinoza ose affirmer que "L'âme humaine a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu."[2]

Cette connaissance rend possible une façon de vivre à la fois commune et inouïe : une béatitude consistant à reconnaître l'unité et la perfection de tous les corps comme de tout ce qui est mental, état de satisfaction suprême, libéré des passions vaines et si souvent tristes auxquelles nous vouons si souvent nos existences.

Il s'agissait en fait surtout pour Baruch Spinoza de construire une éthique permettant à qui le souhaite de trouver au cœur de son intelligence et de sa vie une source de satisfaction et de sens libre de toute dépendance religieuse ou politicienne. Spinoza est ainsi en fin de compte le nom d'une lucidité sans compromis vis-à-vis de la vanité des activités humaines ordinaires[3], lucidité qui loin de l'empêcher rend possible une générosité authentique à l'égard de ses semblables[4] et un sentiment de plénitude ou de béatitude simple et profond, accessible à tous à condition d'accepter de faire l'effort de remettre en cause tous les préjugés et passions tristes qui font obstacle à l'intuition de l'unité de tout ce qui existe.


Notes

  1. préface de la quatrième partie de l’Éthique
  2. Éthique II, proposition 47
  3. Traité de la réforme de l'entendement, §1.
  4. Générosité consistant à vouloir pour chacun ce qu'il y a de mieux pour soi, cf. Éthique IV, prop. 37
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